[Sommaire] [Plan du site] [SPIP] [Admin.]
Recherche

TOPOPHONIE

Topophonie # 6 par Théo Jarrier

Topophonie # 6

Après maintes correspondances par e-mail et quelques rendez-vous matinaux chez les uns et les autres, les membres de l’association "Topophonie" commencent petit à petit, par la force des choses, à déterminer précisément un lieu, une heure ainsi que les noms des invités conviés à la future performance. Les jours approchent et une certaine excitation à réaliser au mieux l’évènement, développe chez les membres de l’association un stress, une angoisse. Cependant, on ne maîtrise jamais totalement son déroulement, par conviction d’une part et par manque de temps d’autre part, envisageant le moindre débordement comme une démarche artistique. D’autant plus que "Topophonie" préconise une totale liberté du déroulement, ce qui débouche parfois sur une compréhension collective un peu hasardeuse. Les activités d’un groupe de performeurs est par essence assez ambiguës. Elles soulignent la nécessaire intrication d’éléments liés à plusieurs types d’expression individuelle qui est principalement là pour mettre en valeur l’identité originale et polyvalente des topophonistes invités, les détournant ainsi de leurs fonctions originelles, qu’ils soient danseurs, musiciens, poètes ou autres... Ce 05 février 2002 sont alors conviés : Musiciens, danseurs, sculpteurs, poètes, chauffeurs... chacun pouvant être plusieurs à la fois, par exemple : Chauffeur et danseur ou musicien et sculpteur... C’est aux alentours de 14 h de ce même jour, que les voitures s’aventurent les unes après les autres autour de la place du marché d’Aligre. Les topophonistes se donnent alors jusqu’à 17 h pour que quelque chose arrive, pour que quelque chose se passe, en plus de chercher une place, tenter de la garder, mettre des sous dans un parcmètre, acheter des aubergines au rabais juste avant que les stands ne se plient... Tout cela étant déjà très beau, nous nous glissons dans cette superposition d’actions, en se rendant imperceptible ou au contraire en marquant le coup ou encore faisant les deux à la fois... Il est vrai que les voitures devaient être nos quartiers, mais ne l’ont pas été, cela c’est d’ailleurs plutôt passé entre ces quartiers. Des quartiers libres topophoniques au marché d’Aligre : C’est l’errance d’un groupe cherchant à délimiter un espace, c’est être suffisamment captif pour sentir l’autre, même quand il n’est pas proche, c’est s’engager dans des actions en s’oubliant totalement, c’est rester mobile pour ne pas prendre froid, c’est observer l’espace pour mieux l’utiliser, c’est être attentif à l’environnement et la mélancolie d’un jour de pluie, c’est tourner en rond, chercher, être seul au sein d’un collectif. Les topophonistes sont à l’affût, entourés de cagettes en bois souples et de quelques légumes écrasés jonchant le sol. Des cagettes délicatement empilées les unes sur les autres ou au contraire froissées, cassées, pétries, déchirés afin d’y extraire quelques craquements digne d’un bon feu de cheminé qui aurait pu ce jour-là, bien nous réchauffer. Nous nous tenons là, quelque part au milieu de la place, sur une sorte de plate-forme circulaire ou certains d’entre-nous déambulent sagement. Les plus initiés à la pratique de la performance de rue, repèrent facilement les moindres détails d’un élément à se réapproprier. A l’aide d’une corde récupérée au fond du coffre de sa voiture, Alfred Spirli fait sonner une grosse cloche métallique dissimulée sous l’auvent du marché couvert. Allongé dans une voiture, Thierry Madiot, souffle depuis dix bonnes minutes dans un ballon en plastique relié à un tube flexible, sorte de trompe alpine, qu’il a soigneusement déroulé sur plusieurs mètre, tout le long du caniveau. Une horloge murale indique le temps qui passe, nous y jetons de rare coup d’œil. Un peu plus tard, dans une cabine téléphonique, Massimo Carrozzo s’égosille, tandis qu’Hélène Breschand chante à tue-tête en virevoltant. De l’autre côté de la place, on aperçoit Bertrand Denzler qui fait sonner son bec. Pascal Battus, lui, tente de faire trembler un sens interdit. Non loin de là, près du garage d’Aligre, Agnès Palier se tient, un néon ébréché à la main, tout en continuant à chercher rigoureusement des objets au hasard d’une poubelle pleine. Imperturbable, Chim Nwabueze taquine un camion avec sa scie musicale. Alfred Spirli est déjà passé à autre chose, il tire à présent un fil presque invisible, d’un bon kilomètre de long, encerclant la place, reliant les arbres les uns aux autres, délimitant un nouvel espace. D’autres encore restent là, debouts, immobiles, blottis par le froid ou au fond d’un siège arrière de voiture, bien calés dans la banquette, ils observent. D’autres encore sont assis sur le rebord d’un coffre ou sur le capot des voitures disposées d’une façon un peu hasardeuses sur cette esplanade et attendent comme des remplaçants de seconde mitant, le feu vert d’un moindre son ou d’un moindre geste pour ce lancer dans une action. L’attention des passants est plus ou moins captée. On s’habitue tranquillement au lieu, le saisissant peu à peu. Chaque son, un peu fort se reflétant sur l’immeuble arc-bouté, a un temps de réverbération de sept à huit secondes. C’est au départ saisissant, puis tout le monde en joue, en jouit. Eric La Casa prend discrètement à l’aide d’un microphone des ambiances perçue à droite et à gauche s’immiscent dans le cercle. C’est un peu comme dans les temples japonais. Vous vous approchez d’un groupe, vous l’écoutez pendant un moment, puis vous vous éloigniez et vous allez vers un autre groupe, comme ça, sans itinéraire mais toujours alerte au moindre bruit ou mouvement d’air. Des mouvements propulsés notamment par d’irrésistibles danseurs Julia Cima, Karim Sebbar et Li-Ping Ting, porteur de son sans en avoir vraiment la conscience. Debussy a d’ailleurs parlé un jour de la musique en plein air. Il y voyait "le moyen de faire disparaître ces petites manies de tonalités et de formes trop précises". Il y voyait aussi : "la collaboration mystérieuse de l’air, du mouvement dans les déplacements, infimes soit-il et du parfum de la ville". La consigne, comme pour tous les topophonies était : "joue avec la certitude que tu as tout le temps et tout l’espace". Et encore une fois, nous avons été une poignée à être persuadés que nous avions eu tout le temps et tout l’espace. Théo Jarrier.

Mots Clés

  • (Mots sans groupe...) : on aime

Poster un nouveau commentaire

[F.A.Q]- [Admin.] - [Plan du site] Photo Georges Karam