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TOPOPHONIE

Revue et corrigée avril 2003

Revue et corrigée avril 2003

TOPOPHONIE

sous titre : entretien avec Hélène Breschand, Thierry Madiot, Sharif Sehnaoui.

Large fenêtre au grand angle parisien : même cadre que l’entretien avec Li Ping Ting mais quelques jours plus tard. A ma gauche, près de la fenêtre, Hélène Breschand, en face de moi de l’autre coté de la table ronde, Thierry Madiot, et à ma droite, dans l’axe du couloir d’entrée, Sharif Sehnaoui. Atmosphère enjouée, c’est un peu l’esprit de Topophonie. Tout paraît simple et pourtant chacun exprime sa manière d’inventer ce laboratoire. Pas une trace de dogmatisme, ça coule léger, une sorte d’intelligence sans poids, une précision à angle courbe. Ce troisième volet trace le contour d’une démarche, d’un processus, d’une mouvance. Energies libres, polymorphes et pourtant bien centrées sur le désir d’ouvrir la pratique improvisée à des expériences hors de la représentation. L’enregistrement a été réalisé en novembre 2001, depuis du son a coulé, c’est pourquoi l’entretien a été un peu modifié, mis à jour. C’est le dernier volet de Topophonie, ensuite il faudra participer ou alors passer dans un champ de topophonistes : à vous de voir ! Carole Rieussec

Comment vous est venu l’idée de créer ce collectif ? TOPO : Est-ce un collectif ? Ne serait-ce pas plutôt : Tiens que pouvons-nous faire ensemble ? Comment faire des choses ensemble ? Je parlerai plus d’une base amicale. Au départ, c’était lié au trio ABM (Sophie Agnel, Hélène Breschand et Thierry Madiot). Nous avions beaucoup travaillé ensemble et le désir de prolonger ce travail,tout en créant quelque chose de particulier. Il nous semblait qu’il était intéressant d’ouvrir notre trio à Théo (Jarrier) car nous le croisions souvent et qu’il était non-musicien (c’est que qu’on croyait à l’époque). Pour nous, il s’occupait de « Peace Warriors », c’était quelqu’un d’actif, un écoutant actif. On avait écrit : "Topophonie rassemble guides et artistes " et le guide c’était Théo ! Au premier Topophonie, nous nous sommes aperçu qu’il avait amené ses percussions : « Ah Théo, tu joues de la musique, parfait ! »

Jouer en Écoutant un lieu ? TOPO : Le mot « Topophonie » est venu avec l’idée. J’avais envie (Thierry) d’un travail hors des cadres assimilés socialement : répéter dans un conservatoire, jouer aux « Instants Chavirés » ou ailleurs, en tous cas sur une scène, dans un espace-temps défini, bien habituel, avec l’idée d’un cachet, en fait la vie de « musicien » qui quand il ne s’occupe que de travailler ou de chercher du travail. Pourquoi n’aurions-nous pas besoin d’un espace libre ? D’un espace d’expérimentation qui ne dépende que de nous ? Quel pourrait être cet espace ? Où ? Serait-ce l’espace de la représentation, de la scène (que ce soit celle d’un club ou d’une grande salle de concert) ? Pourquoi ne pas sortir de là et voir ce qui se passe ? Et effectivement la nature ... J’écoutais souvent « La Selva » de Francisco Lopez. Nous l’avons écouté ensemble. Le son de la nature, des animaux, nous savions que nous ne nous y limiterions pas. Mais la nature étant là, alors pourquoi ne pas aller se confronter à cet environnement, cela devant être très différent de nos précédentes expériences. C’est vrai que c’était très lié à l’évolution du trio. Nous avons travaillé en jouant sur le temps, nous jouions très longtemps ou en faisant des formes très brèves, des formes liées à l’état où nous nous trouvions. Ensuite nous avons un peu ouvert en invitant des musiciens à des séances de travail. Nous nous sommes rendu compte que nous n’étions pas très clair car ce n’était pas dans le but de faire un concert, mais plutôt de faire quelque chose à un moment donné. De là est venu Topophonie : « Ouverture sur des gens et sur des lieux. Ouvrir à d’autres pratiques artistiques, avec la photo, l’architecture, et même ouvrir à n’importe-qui. »

Les références ? l’électroacoustique ? Nous n’avons pas exprimé cette référence de façon explicite et collective. Fransisco Lopez a été un catalyseur, rien d’autre. Mon souci (Hélène) était plutôt le théâtre musical, j’en avais vraiment envie et mon problème était : « comment être sur scène avec une harpe ? » car elle prend beaucoup de place. Mes références sont plutôt liées au théâtre, à tout ce que j’ai vu dans la rue dans les années 70, où le public nous ne savions plus où il était. Ce que j’aime dans Topophonie, c’est que je ne me place pas comme musicienne. Je peux tout faire, des gestes de danse, un déplacement, la voix, tout est possible. Topophonie c’est cela, se permettre ce que nous voulons, comme nous voulons. Il faut juste donner un peu de temps, y travailler un minimum. L’important est que ce soit toujours dans des lieux publics, jamais dans un lieu fermé, privé et de ce fait n’importe qui peut passer, et il n’y a pas de mise en représentation. Au début la référence à Fransisco Lopez nous a conduit dans la nature, dans la forêt de Fontainebleau, parce qu’en tant que petits parisiens, nous allons là-bas. Mais dès le départ nous savions que nous n’y resterions pas toujours. D’ailleurs nous avions choisi un lieu fréquenté, c’est une forêt publique, il y a de la varappe et donc des varappeurs. Et puis nous avons ensuite basculé dans le milieu urbain parce que nous sommes des urbains, nous n’allions pas délaissé la nature urbaine, en faisant un espèce de truc post-baba en imitant les petits oiseaux, tout ça, non ! Nous le faisons aussi mais pas seulement. Il y a aussi la rencontre, en profiter pour croiser d’autres gens, proposer un espace-temps plus ou moins défini et après à l’intérieur qui veut, fait ce qu’il veut avec sa propre subjectivité.

d’autres liens ? TOPO : J’ai (Sharif) toujours vu cela dans une certaines continuité situationniste, dans le sens d’un mélange de l’art et du quotidien, ce qui est beaucoup plus marqué dans la phase « urbaine » de Topophonie. Dans Topophonie, Nous sommes huit et chaque personne a sans doute des réponses différentes à cette question des références. Chacun aura une parole différente. Il n’y a jamais un discours centré. C’est pareil quand on joue. I l n’y a pas d’effet de masque sonore. Chacun a son espace, sa subjectivité. Par exemple le texte de Dante (Feijoo) (Cf revue et corrigée N°53) est très particulier. Si tu interroges Pascal ( Battus) ou Théo ( Jarrier ), tu auras encore des versions sur Topophonie très différentes. Ce qui est intéressant c’est que c’est un cadre vide, ouvert pour les individualités et les propositions. Beaucoup d’entre elles tombent. Il y a beaucoup de discussion, parfois c’est difficile. A priori ce n’est pas une entente d’un groupe allant dans une même direction. C’est une réunion de gens qui de temps en temps se réunissent pour faire une même activité. Il y a quand même beaucoup d’instrumentistes et souvent vous êtes dans un cadre où vous n’avez pas d’instruments ?

Cherchez-vous des dispositifs spécifiques, non instrumentaux ? Topo : (rire) Cela ne se pose pas comme cela . Il y eut à un moment donné, l’obligation d’abandonner les instruments.

l’obligation ? Topo : Quand nous étions dans la grande serre de la Porte d’Auteuil où tu payes cinq francs, tu ne viens pas avec ton instrument surtout quand tu n’as demandé aucune autorisation. De plus ce serait ridicule. Je me referais à la première fois où j’ai participé à un Topophonie où il y avait beaucoup d’instruments. Maintenant, il y a plus d’utilisation d’objets du lieu, il y a eu un glissement ? Topo (Hélène) : Dès le départ pour Sophie la question s’est posée. Nous lui avons dit : « Débrouille toi ! ». Pour la harpe, je l’ai emmenée et puis je l’ai lâché, j’avais envie de cela, je cherchai juste un cadre qui m’accueille pour me poser cette question : "Qu’est-ce que je fais sans instrument, est-ce que j’existe ? " C’était un grand plaisir d’être là sans instrument, de participer. La question n’est pas avec ou sans, c’est d’abord celle du lieu. (Thierry)Nous savions cela depuis le début, je me souviens de toi Carole, lorsque tu es venue à Fontainebleau, tu avais pensé jusqu’au bout qu’on te donnerai une prise électrique ! Chacun fait son expérience, et cela correspond aussi au désir de sortir de la scène et de ce que cela implique. Si nous arrivons à abandonner l’instrument quand il devient incongru, si les outils qui nous représentent socialement sont laissés de côté, quand on les reprend, il se passe autre chose. Enfin pour certains, pas pour tous. Pour Pascal Battus, je crois que cela n’a pas été important, ce n’est pas sa problématique. Pascal nous a aidé, du fait de voir combien il était à l’aise en prenant n’importe quoi pour jouer. C’est de toute façon très différent pour chacun, pour moi le trombone qu’il neige ou qu’il vente... pas de problème. Il n’y a pas de position pro ou anti-instrument.

Je voulais qu’on parle un peu des façons différentes d’aborder un paysage, un lieu...je pensais au travail de « Oui-Dire » lorsqu’ils vont jouer dans un lieu , ou bien à l’expérience que j’avais faite à Villeneuve Le Roi où nous nous étions regroupés pour jouer sous les avions. Topo : (Thierry) Le paysage en tant que tel n’est pas important, disons ce n’est pas le principe. Topophonie fouille la pratique improvisée, pas la représentation. A Villeneuve le Roi, sous les avions, les lieux étaient choisis en fonction du passage des avions...Avec Jean-Luc et Li-Ping, nous avions essayé de sortir du lieu fixe car nous avions des instruments qui nous le permettaient, mais nous n’avions pas réussi à traverser l’espace public. Avec Topophonie, c’est ce que l’on cherche, ou plutôt c’est cet espace qu’on a choisi, c’est comment être dans un lieu, sans idée de transformation, simplement pouvoir rester dans ce lieu. Les dernières expériences urbaines ( musée, lavomatic, ménagerie, Jardin des Plantes ) étaient très intéressantes pour cela. Il faut trouver sur place dans le lieu, comment être sans « défaire le lieu », et voir les réactions des personnes, des enfants qui sont là. Il n’y a pas que le son par rapport au lieu, il y a l’espace. On peut faire autre chose que du son. Pascal (Battus) par exemple est très axé sur l’exploration sonore du lieu, mais on peut faire d’autres expériences. Par exemple au musée, je cousais (Hélène). Je faisais parfois aussi des sons, mais j’avais plus travaillé le visuel. Comment être là (Lavomatic ) avec des personnes qui restent souvent longtemps et créer quelque chose d’ambigu ? (Jeu sur l’ambiguïté de la présence par rapport aux données du lieu). Agir, ne pas agir, juste écouter ? C’est toujours possible, vous connaissez bien cela vous les électro-acousticiens ! Nous allons inviter Eric La Casa (marché d’Aligre). Pour l’instant, il y a eu principalement que des prises d’images.

Comment se passe le repérage ? Cela se passe pour l’instant en trois moments annuels. Lle moment de l’été (un espace-temps large : 2, 3 jours) Par deux fois nous sommes allés chez Hélène à Fontainebleau, c’est elle qui a fait le repérage. La troisième fois, c’était au Canal de l’Ourcq. Nous étions 4 pour faire le repérage par une belle nuit froide d’hiver. Bientot en Baie de Somme, c’est une proposition maritime acceptée par tout le monde. Le lieu précis a été proposé par Thierry, confirmé par Dante puis sera vérifié sur place par Li-Ping. Le deuxième type de rencontre, c’est une après-midi en hiver. Généralement c’est plus lié au milieu urbain. La prochaine fois cela va être au marché d’Aligre avec des voitures comme outils. Et enfin il y a les petits points : Lavomatic, musée, ménagerie du Jardin des plantes ... Là, pas d’invités, nous jouons une heure, une heure et demie, puis nous discutons au café. Pour le repérage, chacun fait des propositions, on compare avec les intérêts, difficultés de chacune des idées et puis on décide. On a aussi une liste d’envies : petites péniches, hôpital psychiatrique, piscine...

Y a-t-il un enjeu social lié au déplacement de la salle de concert ? Les topophonistes interrogent chacun, leur propre placement par rapport à cette question. Il n’y a pas de direction collective. C’est très simple, quotidien, Topophonie. Nous pouvons être des individus un peu idiots, pas toujours avec un bagage intellectuel ou une volonté de bouleverser l’esthétique. Cela permet de protéger la liberté d’action individuelle dans le jeu. L’enjeu reste individuel. Il y a un cadre plus ou moins énoncé à la base. Mais ensuite que s’y passe-t-il ? Cela reste difficile à dire ! Cela nous transforme petit à petit et transforme aussi le groupe par glissements.

Vous parlez de lieux nomades ? Cela c’est dans notre « manifeste » ! En fait c’est par rapport à la scène qui est fixe, c’est une métaphore. Nous sommes nomades à l’intérieur des lieux donc on en a fait un mot valise. Parfois nous ne nous voyons même pas comme aux Arts et Métiers ou nous tournons autour d’un centre comme à Fontainebleau et c’est notre vision du lieu qui se déplace. Lieux nomades, ça permet de dire qu’on va découvrir le lieu en le faisant, c’est peut-être cela ! Que provoque le fait qu’il y ait des artistes non sonores au moment de la performance ? C’est le cas de Li Ping avec son fil rouge et dont parle Martine Rousseau dans son article#, ou la figure fixe de Yukiko Nakamura dans le fossé, une sorte de SDF. Cette image fixe a forcément modifié notre déambulation. L’espace change. Caroline Pouzolles qui travaillait avec ses feuilles sans " objectif "sonore. Cela a sans doute perturbé notre façon de faire. Et puis cela glisse, les danseurs font du son ..., tu cherches l’autre. La première année, Olivier Roueff, sociologue, son écoute et le texte qu’il a spontanément écrit, nous ont renvoyé une réflexion toute autre. Son positionnement, son regard étranger, étrange nous a interrogé. * Il travaille sur l’objectivation des pratiques musicales improvisées, il essaie de forger des concepts, des outils pour comprendre cette pratique de l’extérieur. Il y a eu aussi les architectes qu’on avait invité mais là le contact ne s’est pas fait. Le choix des invités est important. Eux n’était pas du tout dans la performance, et nous n’avions pas su les « préparer ». Maintenant on a trois ans de pratique et je pense que nous savons mieux se préparer à la performance. Par exemple, avant nous prenions toujours les mêmes instruments, maintenant non, nous travaillons plus avec les sons du lieu.

En dehors de cette attitude « primitive » de jeu avec la matière du lieu, avez-vous déjà eu des expériences des envies de saturation, de pollution du lieu ? C’est le cas dans le lavomatic, mais nous n’étions pas content, et d’ailleurs nous avons vite réagi... Nous étions trop nombreux vu l’exiguïté de l’espace. À Fontainebleau près des murs d’escalade, une grimpeuse nous a reproché de souiller le lieu ( au niveau sonore ), nous avons pu discuter et cela s’est finalement bien passé . Vient-on pour ne rien déranger ? Dans ce cas-là pourquoi venir ? Ou est-ce que nous venons manger le lieu ? Dans ce cas-là, autant aller dans une salle ! Nous sommes toujours dans des lieux publics, donc il faut trouver notre place (géographique, sonore). Ce qui m’intéresse (Hélène), c’est le regard des enfants sur les dessins que je faisais aux Arts et Métiers. Ils regardaient mes dessins qui ne représentaient pas ce que je regardais. Ils percevaient ce décalage. Mais ils n’osaient pas me parler. Je crois que cela a dû changer leur regard. Nous sommes entre réalisme et poésie du lieu. Nous ne demandons jamais d’autorisation. Nous pouvons changer la perception d’un lieu avec certains cas limites d’intégration dans l’espace sonore. C’est important de réintégrer la pratique artistique comme quelque chose qui questionne mais qui ne perturbe pas complètement l’espace, c’est essentiel. Parfois il peut se passer quelque chose de très intime avec les gens. Je suis là, je fais tomber mon crayon, un enfant me le ramasse, il peut se passer quelque chose.

Action limite ? Dante avec son micro, il est à la fois étrange et s’intègre complètement. Peut être maintenant, Topophonie va muer, là nous venons de doubler de volume, (de 4 membres organisateurs à 8). C’est une mue d’échange, d’organisation. Nous allons encore muer. Peut être qu’un jour allons nous être amener à faire un choix différent : par exemple, aller dans un lieu et foutre le bazar. C’est possible. Jusqu’à maintenant, ce sont les lieux qui nous définissent. Mais la problématique peut se déplacer. Pour l’instant, cette limite dont tu parles, on la vit. Un jour nous pourrions être amené à la pousser, comme les artistes de la rue qui eux connaissent très bien cette problématique de l’espace public. Un petit son qui se répète, inaudible, peut progressivement transformer l’espace. Le choix d’un son peut transformer la perception d’un espace. Une fois, au musée du « Jeu de Paume », il y avait deux grandes citernes, j’étais seul, ces deux sculptures de Jaume Plensa, étaient de toute évidence faites pour être jouées mais dès que tu le faisais, les gardiens arrivaient et disaient : « Non, faut pas ! » Une espèce de sacrilège alors que la sculpture réclamait du son . Des gens comme Alfred Spirli par exemple, ont une grande habitude de perturber l’espace public. Nous sommes un peu timide ! Je (Thierry)me souviens d’un Astrolab aux Instants Chavirés, où les CRS avaient encerclés tout le quartier pour expulser des maliens qui occupaient un espace vacant. Les CRS bloquaient l’accès aux Instants et ne voulaient pas bouger. A un moment donné, nous avons pris nos instruments et avons joué fort, free, très fort. Là des gens sont tout de suite venus, les bonnes personnes, elles ont fait reculé « le mur ». En deux minutes c’était réglé. Le rapport de l’instrument, du langage artistique, ça se passe tellement ailleurs que d’un seul coup les réponses sont différentes. C’est intéressant d’explorer ce potentiel là du langage en dehors du public « volontaire » qui vient écouter et qui sait quoi ...

Des affinités ? Un exemple Dante (Feijoo), un voisin des Instants Chavirés, plus ou moins repéré, devient dans Topophonie quelqu’un d’extrêmement précieux, Pascal Battus aussi, de manière très différente. Nous avons choisi des individus qui avaient une expression très particulière qui ne s’adapte pas à obligatoirement à la scène. Nous essayons d’aller vers des gens peut être moins brillants dans le sens de la représentation, mais précieux ( donc aussi brillants en ce sens ! ) au niveau des expériences à faire. D’un seul coup, leur art se révèle.

Je me tourne vers Sharif, qui a encore peu parlé, et je lui demande le rapport de Topophonie à sa culture libanaise ? En fait ça ne se place pas directement par rapport à ça. Topophonie est une résultante de la culture européenne du spectacle même si c’est une sorte d’hommage éloigné. En tous cas, c’est un questionnement très étrange à la culture libanaise qui, elle, court après la société du spectacle pour la rattraper. Personnellement, je suis plus de culture européenne je crois. En fait j’ai une triple culture : j’ai vécu dans les milieux anglais, mais je suis beaucoup plus de culture française. J’aimerais beaucoup qu’on aille au Liban, ça créerait des choses, ça pousserait des choses à exister. L’improvisation ici au Liban ? Ici la vie est peut être plus rationalisée : ( métro, boulot, dodo). Au Liban, les gens ont connu des expériences très difficiles ce qui les rend plus ouverts à tout ce qui est imprévu, aléatoire ; Mais il faut vraiment quelque chose pour faire sortir ça, sinon ça reste ! La société du spectacle n’étant pas poussée à son paroxysme, les gens ne sont-ils pas dans une expression plus intime, plus collective ? Oui mais cela dépend des lieux ou des milieux, les initiatives restent tres ponctuelles et locales. Il n’y a pas de structure de diffusion, si tu veux faire une association à but non lucratif, ton association sera presque plus taxée que l’association commerciale parce qu’elle sera classée comme produit de luxe ... En même temps, je ne vis pas là bas, donc je ne suis pas idealement placé pour en parler mais je crois que tout ce qui est ou doit être ou veut être culturellement indépendant a du mal à vivre. D’autres choses ? On est plus nombreux, ça va changer des choses. Topophonie permet de jouer du nombre, ce qui est finalement très rare. On peut être facilement 30 ou plus dans un lieu ouvert et pour notre pratique c’est intéressant. C’est une des originalités de Topophonie, je crois. Quand on se retrouve 15, 16, au bord du Canal de l’Ourcq, ça fait finalement pas beaucoup. Il n’y a pas l’idée d’envoyer un son ou de réagir à quelqu’un, le son reste individuel, intime. D’autre part, dans Topophonie, personne n’est passif, pas même l’auditeur : nous ne sommes pas en représentation. C’est une performance ou plutôt un espace-temps qu’on donne pour une rencontre. En général, on parle très peu avant, ça défile ... et ensuite on se prend un espace de paroles. Souvent on ne se connaît pas tous lorsqu’on joue, ça aussi c’est une dimension surprenante. Au début d’une rencontre, parfois on ne sait pas qui est public ou qui va intervenir. Les gens qui sont venus écouter nous parlent de l’écoute très active qu’ils ont eu : de fait, ils peuvent intervenir, ils se déplacent, font des choix. Et c’est une autre réflexion de Martine Rousseau qui insiste sur le fait que si tu restes une demi-heure, c’est comme si tu n’avais pas participé. Il faut souvent 3, 4 heures pour que le sens se fasse : une espèce de mise en apesanteur qui vient avec le temps ...Evidemment pour les " petites performances’’ d’une heure c’est différent : on n’invite personne, on a juste le temps d’intégrer l’espace public. Mais la durée reste tres importante. On peut parler de « Mimeo » ou du « Cube » mais c’est très différent.

L’art est acte banal ou la banalité s’ouvre au poétique ? Banal, non ! parlons plutôt de quotidien. L’art est quotidien plutôt que le quotidien est artistique. La pratique c’est une espèce de pensée en continu qui a des expressions plus lisibles à certains moments. Avec Li Ping, (Thierry) on est d’accord là-dessus : l’art est une pratique du quotidien, c’est plutôt un continuum et ceci pour mettre en pièce toute la propagande du spectaculaire. Nous avançons petit à petit. Notre « manifeste » est également et volontairement petit. C’est en échangeant régulièrement que notre pratique prend de la valeur car les choses changent en chacun. C’est pour cela que nous sommes obligés de nous réunir souvent. Du point de vue de l’artiste (Hélène) l’art est là à chaque instant. Il modifie des choix de vie, c’est là. Du point de vue du public, le quotidien peut être magique et cela peut glisser vers l’artistique mais personnellement j’aime aussi être sur scène et en tant que spectatrice, j’aime aller dans une salle, être emportée par un spectacle. J’aime le côté sacré de la scène, on t’ouvre le rideau rouge, il va se passer quelque chose. Ces pratiques peuvent être liées entre elles. Mais en tant que spectateur, je vois un spectacle qui me touche et du coup mon quotidien est nimbé de ce que j’ai vu, et finalement j’ai eu un regard artistique dans mon quotidien.

Un topophonie avec uniquement des gens du lieu, qui vivent sur le lieu, serait-il possible ? Mais il a lieu ! On ne le sait pas obligatoirement. On l’apprend parce qu’il y a une photo où il y a des mômes qui tapent sur un machin de l’autre coté du canal. Les passants, on ne sait pas comment ils participent, mais ils sont là.

Je parles d’une participation désirée ou d’une invitation claire de votre part ? Au lavomatic, une femme a participé, elle jouait vraiment avec nous. Mais nous n’avons rien échangé de plus. Il n’y a pas de volonté d’incitation, chacun vit sa vie comme il en a envie. Il n’y a pas de volonté que d’autres gens participent. Nous sommes juste des gens qui avons une pratique artistique que nous intégrons dans un moment plus quotidien. Il y a des gens qui passent : qu’ils se disent artistes ou pas, musiciens ou pas, le fait est qu’ils traversent une banalité transformée, un cadre ouvert, alors ils basculent ou pas, chacun à leur manière. Généralement, les enfants sont les plus prompts à le faire. Nous ne demandons rien en tout cas. Nous sommes plus à la recherche d’une action voilée. Dans Topophonie, l’outil n’est pas important. Une présence peut suffire. N’importe qui peut être là. C’est presque un pic-nique mais au lieu de jouer aux boules, de parler du dernier match... Nous sortons nos yeux, nos oreilles, on travaille avec cela.

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  • (Mots sans groupe...) : on aime

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